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Publication : 04/03/2019

Le maréchal Khalifa Haftar a lancé début avril une offensive pour s'emparer de Tripoli, où siège le gouvernement d’union nationale (GNA) dirigé par Fayez al-Sarraj et reconnu par la communauté internationale. Depuis, le Conseil de sécurité de l’ONU peine à imposer un cessez-le-feu en Libye, en proie au chaos depuis la chute du colonel Kadhafi, en 2011. Sur le terrain c’est l’enlisement après la défaite, le 26 juin, de l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar à Gharian, au sud-ouest de Tripoli. Et les deux hommes forts du pays s'accusent mutuellement de bénéficier du soutien militaire de puissances étrangères.

Ancien officier de l’armée libyenne ayant fait défection à la fin des années 1980, le maréchal Khalifa Haftar, né en 1943, a été formé en partie dans l'ancienne Union soviétique et vécut plusieurs années en exil aux États-Unis, avant de rentrer en 2011 à Benghazi, la grande ville de l'Est libyen. Il s’est forgé une stature grâce à ses campagnes militaires contre des groupes islamistes dans l’est et le sud de la Libye. Depuis le début de la crise libyenne, il se présente comme le seul homme à même de garantir la stabilité de son pays et d'écraser les mouvements jihadistes. Un discours qui a trouvé des oreilles attentives notamment à Paris, Moscou, et au Caire. Et plus récemment à Washington. Son rival, Fayez al-Sarraj, peut lui compter sur l’appui du Qatar et de la Turquie.





Texte : Marc Daou / France 24
Photo : France 24 - AFP - Reuters
Secrétariat de rédaction : Cassandre Toussaint, Ratiba Hamzaoui
Graphisme et développement : Studio graphique, France Médias Monde
Rédaction en chef : Ghassan Basile
Direction de la rédaction : Nabil Aouadi, Vanessa Burggraf

Tous droits réservés © Juillet 2019
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Le Premier ministre libyen Fayez al-Sarraj, le président français Emmanuel Macron, et le maréchal Khalifa Haftar, à La Celle Saint-Cloud, près de Paris, le 25 juillet 2017. AFP

La France, médiatrice accusée de double jeu

PRO-HAFTAR

En 2011, la France, alors sous la présidence de Nicolas Sarkozy est à l’origine de l’intervention militaire qui a provoqué la chute du colonel Kadhafi. Depuis, elle est omniprésente en Libye. Officiellement, au niveau diplomatique, Paris soutient le processus de paix de l'ONU entre les deux parties rivales, et s’est même positionnée comme une puissance médiatrice dans le conflit en organisant une rencontre entre Khalifa Haftar et Fayez al-Sarraj en juillet 2017, puis en mai 2018. En vain. D’autant plus que le GNA de Fayez al-Sarraj accuse les autorités françaises de jouer double jeu en Libye, et de soutenir en coulisses son rival. Khalifa Haftar a notamment été soigné en France en avril 2018.

Le gouvernement français a reconnu avoir fourni des renseignements au maréchal Haftar, qu’elle considère comme un allié de poids dans la lutte antiterroriste et antijihadiste. En 2016, trois militaires français avaient péri lors d'une mission de renseignement dans l'Est. Et l'offensive de l’ANL dans le Sud libyen, en janvier, a permis de chasser les opposants armés du président tchadien Idriss Deby, le premier allié du dispositif français Barkhane au Sahel. Paris réfute cependant tout soutien militaire à l’ANL dans son offensive contre Tripoli, et le président Emmanuel Macron a appelé à un cessez-le-feu. La position de la France a cependant été mise à mal après que le gouvernement eut admis que des missiles "hors d’usage" découverts dans une base de l’ANL près de Tripoli lui appartenaient, tout en réfutant les lui avoir fournis.

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Le maréchal Khalifa Haftar a été reçu par le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le 14 avril 2019, au Caire. AFP

L’Égypte, voisin intéressé

PRO-HAFTAR

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi est l’un des principaux alliés du maréchal Haftar, lui-même surnommé par ses détracteurs "le Sissi libyen", à cause de ses inclinations autoritaires présumées. Mais les deux hommes partagent surtout une aversion tenace pour la confrérie des Frères musulmans, dont des partis libyens sont alliés du GNA. Reçu au Caire à plusieurs reprises, Khalifa Haftar, qui a fait une partie de ses études en Égypte, est soutenu par le président Sissi au nom de la lutte "contre les terroristes et les groupes extrémistes". Le Caire, qui a récemment salué "le rôle de l'ANL dans la création d'un climat propice aux solutions politiques", le perçoit surtout comme un gage de stabilité dans l’est d’un pays qui partage 1 100 kilomètres de frontière avec l’Égypte.

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Le prince héritier d'Abu Dhabi Mohammed ben Zayed al-Nahyan et le maréchal Khalifa Haftar, le 8 juillet 2017 à Abu Dhabi. AFP

Émirats arabes unis, alliés de la première heure

PRO-HAFTAR

Bien plus engagés que l’Arabie saoudite sur le terrain libyen, les Émirats arabes unis sont, avec l’Égypte, les principaux alliés du maréchal Haftar, qui partage avec eux une farouche opposition aux Frères musulmans, alors que le GNA est blâmé pour s’être allié à des milices islamistes et des partis se réclamant de la confrérie. Si Abu Dhabi a récemment appelé "toutes les parties à la désescalade et à réengager le processus politique mené par l'ONU" en Libye, les Émiratis sont fréquemment accusés par le GNA d'approvisionner l’ANL en armes, en violation de l'embargo imposé par l'ONU sur la Libye depuis 2011. Le 7 mai, selon un document remis au Conseil de sécurité, des experts de l'ONU ont lancé une enquête sur une possible implication militaire des Émirats arabes unis, après des tirs de missiles air-sol Blue Arrow en avril avec des drones de fabrication chinoise équipant l'armée émiratie.

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Le roi Salmane d'Arabie saoudite et le maréchal Khalifa Haftar à Riyad, le 27 mars 2019. Reuters

L’Arabie Saoudite, soutien bienveillant

PRO-HAFTAR

Les pétromonarchies du Golfe, l’Arabie saoudite en tête, considèrent l’islam politique incarné par les Frères musulmans, et soutenu par le rival qatari, comme un ennemi de premier plan. Sur l’échiquier libyen, Riyad a trouvé son champion avec le maréchal Khalifa Haftar, qui se présente comme l’unique rempart contre les islamistes, accusés par les pays du Golfe d’avoir semé le chaos dans le monde arabe pendant la vague révolutionnaire de 2011. L’homme fort de l’Est libyen a été reçu par le roi Salmane en personne, même si Riyad reste focalisé sur la guerre au Yémen et laisse son allié émirati en première ligne sur ce dossier.

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Le maréchal Khalifa Haftar sortant du ministère russe des Affaires étrangères, à Moscou, le 29 novembre 2016. AFP

La Russie, garant diplomatique

PRO-HAFTAR

Formé dans l'ancienne Union soviétique, Khalifa Haftar s’est rendu à plusieurs reprises à Moscou ces dernières années. Il a été officiellement adoubé par la Russie lors d’une cérémonie en grandes pompes à bord du Kouznetsov, le porte-avions russe, en janvier 2017. Le Kremlin, tout en reconnaissant officiellement, à l’instar de la communauté internationale, l’autorité du GNA, a bloqué le 7 avril une résolution à l’ONU qui appelait les forces du maréchal Haftar à cesser leur assaut contre la capitale libyenne. Les Russes ont considéré que "toutes les parties" devraient être appelées à la retenue pour éviter "un bain de sang".

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Le président américain Donald Trump s’est entretenu au téléphone avec le maréchal Khalifa Haftar, le 19 avril 2019. AFP

Les États-Unis, l’invité surprise

PRO-HAFTAR

Les Américains, neutres jusqu’ici, ont récemment basculé dans le camp des soutiens du maréchal après un entretien téléphonique, le 19 avril, entre Donald Trump et Khalifa Haftar, qui a vécu plusieurs années en exil aux États-Unis. Et ce, au titre "d’une vision commune" pour un avenir démocratique en Libye, selon les termes de la Maison Blanche. Washington a même salué le "rôle significatif du maréchal Haftar dans la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des ressources pétrolières de Libye". Ce soutien diplomatique s’est manifesté concrètement avec la décision américaine de bloquer, début juillet, une condamnation internationale du raid sanglant en Libye contre un camp de migrants, attribué aux forces de Khalifa Haftar par ses ennemis.

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Le Premier ministre italien Giuseppe Conte (à gauche) et le maréchal Khalifa Haftar, le 12 novembre 2018, à Palerme. Reuters

L’Italie, intermédiaire en terrain (pétrolier) miné

NEUTRE

L’Italie, l’ancienne puissance coloniale, a des intérêts très importants en Libye, notamment à travers leur société d’hydrocarbures ENI. Pour faire respecter les contrats financiers et pétroliers, le gouvernement italien soutient le chef du gouvernement d'Union nationale Fayez al–Sarraj. Les Italiens, qui contestent à la France le rôle de médiateur dans ce qu’ils considèrent comme leur pré-carré historique, plaident pour une solution politique. Rome, qui craint de voir le géant français Total, l'un des principaux groupes pétroliers présents en Libye, supplanter ENI, continue de ménager prudemment le maréchal Haftar, qui contrôle la majorité des champs de pétrole situés à l’est du pays. Pour la diplomatie italienne, il "est un protagoniste du scénario libyen et il est un interlocuteur incontournable".

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Le Premier ministre turc Binali Yildirim (à gauche) et le Premier ministre libyen Fayez al-Sarraj lors d'une cérémonie officielle à Ankara, en Turquie, le 8 février 2017. AFP

La Turquie, parrain très impliqué

ANTI-HAFTAR

La Turquie, sponsor de l’islam politique, à l’instar du Qatar, est partie prenante dans le conflit libyen à travers un soutien total et affiché au GNA de Fayez al-Sarraj. Ce soutien en armes, drones, véhicules et avions, a été admis publiquement par le président turc Recep Tayyip Erdogan, malgré l’embargo de l’ONU sur les armes. Et il a permis d’équilibrer le rapport de force face à l’ANL du maréchal Haftar, qui marchait en direction de Tripoli. Défait le 26 juin à Gharian, au sud-ouest de Tripoli, jusqu’alors aux mains de l’ANL, le camp du maréchal a été stoppé dans son élan. Accusant la Turquie d’intervenir "dans la bataille de façon directe : avec ses soldats, ses avions et ses navires par la mer", l’ANL a été jusqu’à menacer de s'en prendre aux intérêts turcs en Libye.

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Le Prince Tamim ben Hamad al-Thani, le 5 décembre 2017. AFP

Le Qatar, sponsor anti-Haftar

ANTI-HAFTAR

Le Qatar, qui a contribué militairement avec l’Otan à la chute du colonel Kadhafi en 2011 et sponsorisé les courants islamistes et les Frères musulmans libyens, veut rester influent dans le pays. Son inclinaison en faveur de l’islam politique, un courant défait lors des législatives libyennes de 2014, est incompatible avec le profil du maréchal Khalifa Haftar, qui l’accuse en retour de fournir des armes à ses rivaux. "Les agissements des milices militaires sous le commandement d'Haftar en Libye entravent en premier lieu les efforts internationaux visant à asseoir un dialogue national libyen", accuse fréquemment Doha. En soutenant le GNA, l’émirat gazier participe à un jeu de lutte d’influences avec l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe, qui l’ont placé sous embargo en juin 2017, et qui sont eux partenaires du maréchal.