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Lichtenstein, roi du pop art

Qui dit Roy Lichtenstein, dit grands formats de bandes dessinées détournées. Des portraits serrés de femmes éplorées, inquiètes, dans l’attente, passives. Leur répondent des tableaux d’hommes à la mâchoire serrée, au milieu d’explosions, et ordonnant de tirer. Bref, des clichés du genre masculin-féminin, véhiculés par la bande dessinée des années 1950, comme "Secret Hearts", "Girl’s Romances", ou "Men at War". Ces émotions caricaturales sont exacerbées par le phénomène d’agrandissement.

"Roy Lichtenstein reprend une case de BD, retravaille la couleur, la position des mains, réécrit le texte", explique la commissaire de l’exposition Camille Morineau. L’artiste ajoute volontairement des gros points de couleur, les "dots Ben-Day", une convention de l’imprimerie pour aposer des couleurs à moindre frais.

A gauche : M-Maybe [P-Peut-être], 1965 - Huile et Magna sur toile - 152,4 x 152,4 cm - Museum Ludwig, Cologne - © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013
A droite : Torpedo… LOS ! [Torpille… Larguez!], 1963 - Huile et Magna sur toile - Collection Simonyi

Mais l’œuvre de Roy Lichtenstein va au-delà de la bande dessinée revisitée. Le Centre Pompidou propose un parcours chronologique de l’artiste emblématique du pop art. Où l’on redécouvre que l’Américain, né en 1923, a commencé par des tableaux en noir et blanc, comme ce portrait du président américain Georges Washington, peint à l’huile en 1962, et un cahier d’écolier ("Compositions 1", peint en 1964), qui est reproduit à une échelle monumentale et sans contours (technique "all-over"), brouillant ainsi la frontière entre l’objet et le tableau. "Dans les années 1960, c’était une vraie nouveauté de représenter des objets, sans y ajouter de valeur artistique ou de mise en perspective", explique Camille Morineau.

A gauche : Compositions 1, 1964 - Huile et Magna sur toile
A droite : George Washington, 1962 - Huile et Magna sur toile - Collection de Jean-Christophe Castelli, New York

Fasciné, comme ses confrères du pop art, par la disparition progressive de l’artisanat au profit de l’industrialisation des objets du quotidien, par l’agressivité des images commerciales et par l’hostilité des couleurs criardes de supermarché, Roy Lichtenstein délaisse rapidement le noir et blanc pour privilégier le jaune citron et le bleu vif, qui vont uniformiser son œuvre.

Il s’essaie à différentes techniques, notamment la gravure, la sculpture, et la peinture sur divers supports : la porcelaine (comme le "Hot Dog" ci-contre), l’émail, le plastique (Plexiglas, Mylar et Rowlux, à l’effet moiré) et l’acier.

Hot Dog, 1964 - Porcelaine émaillée sur acier - Achat en 1989 par le Centre Pompidou, Paris - © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013

La technique de l’artiste américain est plus complexe qu’elle n’y paraît de prime abord : Roy Lichtenstein commence par reproduire une image trouvée dans un magazine ou une bande dessinée, l’agrandit, la retourne de biais ou tête en bas, et travaille formes et couleurs comme s’il s’agissait d’un tableau abstrait. L’œuvre acquiert alors ce détachement, cette froideur d’expression, cette simplicité, ce "classicisme", comme dirait Roy Lichtenstein.

Sunrise [Lever de soleil], 1965 - Huile et Magna sur toile - 91,4 x 172,7 cm - Collection particulière - © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013

La bande dessinée intéresse Roy Lichtenstein en ce qu’elle fige des instants forts – soupir, pleurs, explosion – en une image type. La convention graphique veut qu’une explosion soit représentée par une étoile. Il en fait une sculpture en porcelaine.

"Il est vrai que les explosions peuvent avoir une certaine forme à un moment donné, mais on ne les perçoit jamais comme ayant une forme définie. Les auteurs de bandes dessinées ont développé des formes spécifiques pour les explosions. C’est pour ça que j’aime également les réaliser en trois dimensions. Ça rend très concret quelque chose d’éphémère", explique l’artiste américain.

A gauche : Whaam!, 1963 - Huile et Magna sur toile - Deux panneaux : 172,7 x 203,2 cm chacun - Tate - © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013
A droite : Small Explosion (Desk Explosion) - [Petite explosion (explosion de bureau)], 1965 - Porcelaine émaillée sur acier, socle en bois - 54 x 40,6 x 15,2 cm - Collection particulière - © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013

Le Centre Pompidou a ainsi réuni un bon nombre de sculptures de Roy Lichtenstein, où l’artiste décline ses obsessions en trois dimensions : figurer la lumière qui jaillit d’une lampe ou encore reproduire un visage féminin, toujours selon les codes de la bande dessinée. Il les transforme en archétypes anonymes.

Lamp II [Lampe II], 1977 - Bronze peint et patiné - 219,1 x 70,2 x 44,8 cm - Collection particulière - © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013 - Blonde [Blonde], 1965 - Céramique, peinture - 38,1 x 21 x 20,3 cm - Museum Ludwig, Cologne

À partir du milieu des années 1960, Roy Lichtenstein n’hésite plus à se servir de son érudition – il a fait des études d’histoire de l’art – pour nourrir ses tableaux. En réaction ou en clin d’œil à l’expressionnisme abstrait, mouvement artistique né à New York dans les années 1940 avec pour figures de proue Jackson Pollock et Willem de Kooning, Lichtenstein reprend l’emblématique coup de pinceau des expressionnistes en lui retirant sa charge émotionnelle.

Il en résulte des mouvements de pinceau figés sur la toile, comme suspendus, tout comme le sont chez lui la lumière ou une explosion. Chez Lichtenstein, tout passe par le filtre de l’esthétique BD.

Mais pas seulement : l’artiste s’éloigne aussi du pop art en essayant des superpositions de techniques et de graphismes. Les coups de pinceaux se mélangent ainsi aux rayures et aux "dots Ben-Day".

A gauche : Brushstrokes [Coups de pinceau], 1965 - Huile et Magna sur toile - 122,5 x 122,5 cm - Collection particulière - © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013
A droite : Fishing Village [Village de pêcheurs], 1987 - Huile et Magna sur toile - Courtesy of Fondation Carmignac

Lichtenstein fouille dans l’histoire de l’art pour exhumer des sources d’inspiration. Il trouve dans l’art décoratif des années 1930, dans les "Cathédrales" de Monet, dans le cubisme de Picasso, des liens avec ses propres obsessions.

Avec ses imitations des séries de Monet, Lichtenstein explique chercher à trouver un "moyen industriel de faire de l’impressionnisme – ou quelque chose d’avoisinant – par l’intermédiaire d’une technique mécanique. Et pourtant,je prends probablement dix fois plus de temps à faire mes ‘Cathedrals’ ou mes ‘Haystacks’ [Meules de foin] que Monet à les peindre", estime l’artiste américain.

A gauche : Rouen Cathedral, Set 5 [Cathédrale de Rouen, suite 5], 1969 - Huile et Magna sur toile - San Francisco Museum of Modern Art - Don de Harry W. et Mary Margaret Anderson
A droite : Still Life with Goldfish - [Nature morte aux poissons rouges], 1972 - Huile et Magna sur toile - 132,1 x 106,7 cm - Collection particulière - © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013

Roy Lichtenstein assume son amour pour les compositions d’Henri Matisse et peint de grands ateliers d’artiste (série de tableaux monumentaux "Artist’s Studios"), en clin d’œil aux ateliers peints par l’artiste français.

Tout comme Matisse, Lichtenstein cite ses propres œuvres. Il reprend ainsi la toute première œuvre de pop art qu’il ait peinte : une case de bande dessinée figurant Mickey et Donald, en 1961. On y voit déjà l’attrait de l’artiste pour l’illustration commerciale, ses codes et ses expressions figées.

A gauche : Look Mickey [Regarde Mickey], 1961 - Huile sur toile - 121,9 x 175,3 cm - National Gallery of Art, Washington - © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013
A droite : Artist’s Studio “Look Mickey” [Atelier d’artiste “Regarde, Mickey”], 1973 - Huile, Magna et sable avec poudre d’aluminium sur toile - Walker Art Center, Minneapolis - Don de Judy et Kenneth Dayton, et de la Fondation T.B. Walker, 1981

Au fur et à mesure de sa vie, Roy Lichtenstein s’ouvre à diverses influences, sans renier le pop art ni les "dots Ben-Day" qui font sa signature. Il peint ainsi des nus féminins, à la suite de Picasso, mais selon ses propres normes. L’érotisme est annulé par l’indifférenciation des corps, minces et glabres, produisant une esthétique à la fois classique et kitsch. Quant au motif du point, il ne représente même plus les volumes : les "dots" prennent leur autonomie.

Autre échappée, cette fois loin de l’imaginaire américain : Lichtenstein revisite l’esthétique classique chinoise. L’artiste reproduit le clair-obscur et le calme de ces vastes paysages où l’humain et les détails sont perdus dans une nature omniprésente. Ici, ce sont les "dots" qui sont omniprésents…

A gauche : Nudes with Beach Ball [Nus au ballon de plage], 1994 - Huile et Magna sur toile - 301 x 272,4 cm - Collection particulière - © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013
A droite : Landscape with Philosopher [Paysage avec philosophe], 1996 - Huile et Magna sur Toile - Collection particulière

Jamais, dans tout son parcours, Roy Lichtenstein ne perd de vue son sens de l’ironie et du clin d’œil. Il aime confronter l’art à ses limites et la société industrielle à ses mécanismes visuels. Les miroirs, impossibles à représenter en tant que tels sur une toile, ont ainsi chez Lichtenstein des hachures, pour figurer la transparence, et des vagues ondulées, supposées caractériser le reflet. Miroirs, verres, aquariums en trompe l’œil : Roy Lichtenstein a créé à lui seul tout un univers que n’auraient pas renié les maîtres de l’art décoratif au début du XXe siècle.

Roy Lichtenstein dans son atelier de Southampton. - Photographie de Horst P. Hors - © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013 - Before the Mirror [Devant le miroir], 1975 - 108,6 x 81,2 cm - Collection particulière - © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013

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