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Le système américain du Credit suisse

C’est la faute “d’un petit groupe de banquiers privés [qui] ont eu un mauvais comportement”. Brady Dougan, le patron du géant bancaire Credit suisse, a ainsi rejeté, mercredi 26 février, la responsabilité d’un système d’incitation à la fraude fiscale sur certains de ses employés.

Il s’exprimait devant le Sénat américain dans le cadre d’une vaste enquête qui a permis de mettre au jour des pratiques bancaires illégales sur le sol américain entre 2001 et 2008. Sur cette période, la banque helvétique gérait jusqu'à 12 milliards de francs suisses (9,8 milliards d’euros) pour le compte de 22 000 citoyens américains, indique un rapport sénatorial rendu public mardi 25 février. D’après ce document, près de 90 % de cet argent n’a pas été déclaré au fisc américain.

Le rapport met en lumière, sur une trentaine de pages, de quelle manière les banquiers suisses se sont démenés, alors qu’ils n’en avaient pas le droit, pour inciter les riches citoyens américains à ouvrir des comptes dans leur établissement. FRANCE 24 présente, exemples concrets à l’appui, le système américain du Credit suisse.

  Le système américain du Credit suisse

Rien à déclarer

Entre 2001 et 2008, les banquiers du Credit suisse ont effectué 150 voyages aux États-Unis pour démarcher de riches Américains ou gérer les affaires de clients. Ces banquiers déclaraient rarement aux douaniers le véritable but de leur séjour et pouvaient, par exemple, prétexter qu’ils venaient assister à un mariage. Ils passaient ensuite entre 7 et 10 jours sur place pour rencontrer plus de 30 titulaires de compte ou clients potentiels.

Clients bichonnés

Durant leur périple américain, les banquiers suisses pouvaient effecteur plusieurs haltes à travers le pays afin de rencontrer leurs clients, lors de dîners gracieusement offerts, en toute discrétion. Ainsi, l’un d’entre eux avait dissimulé les relevés de compte de son client dans une revue sportive, remise à l’intéressé lors d’un petit déjeuner dans un hôtel de luxe.

Galas intéressés

Tous les ans, à New York, se déroulait le "Swiss Ball". Une occasion "festive" durant laquelle les banquiers du Credit suisse n’hésitaient pas à approcher de riches Américains. Lors d’une soirée, un représentant de la banque avait réservé une table pour 6 500 dollars (4 730 euros) afin de pouvoir discuter en toute tranquillité avec de fortunés "invités qui ont en outre un solide réseau" pouvant déboucher sur d’autres clients potentiels.

Du golf entre "amis"

Le rapport sénatorial note de "multiples tournois de golf" que le Credit suisse a organisé par amour du sport et des billets verts. La banque avait, pour la tenue de ces événements sportifs, une prédilection pour le soleil de Floride et des Bahamas. Les conseillers clients y expliquaient clairement comment ouvrir un compte officiel et un autre, "plus discret".

Allô, paradis fiscal ?

Les banquiers du Credit suisse poussaient le souci de la discrétion jusqu’à proposer leurs services pour créer des sociétés écran dans des paradis fiscaux, afin de masquer l’identité du véritable propriétaire des fonds. À cette fin, les banquiers avaient une liste de "numéros de téléphone importants" correspondant à des "intermédiaires" versés dans l’art de la création de sociétés écran. Plus de cinq milliards de francs suisses (3,4 milliards d’euros) étaient déposés sur les comptes de ces entités prête-noms.

Dix mille dollars maximum

Pour contourner des obligations administratives, les banquiers invitaient leurs clients à transférer les fonds vers leur compte suisse par tranche de 10 000 dollars au maximum. Au-delà de cette somme, le motif du mouvement de fonds doit être déclaré. En fonction du montant, cette subtilité légale contraignait parfois les banquiers à réaliser des montages financiers complexes.

Cartes de débit VIP

Les représentants du Credit suisse proposaient à leurs clients américains des cartes de débit un peu particulières : le nom du titulaire du compte n’y apparaissait pas. Ils pouvaient ainsi retirer des fonds sur leur compte en Suisse en toute discrétion presque partout dans le monde.

La façade new-yorkaise

Le bureau de New York du Credit suisse, fondé en 1999 et fermé en 2009, ne proposait officiellement que des prêts. Mais, en réalité, cet établissement facilitait également l’ouverture de comptes en Suisse aux clients américains, à condition qu’ils disposent d’un capital de départ de 500 000 dollars. À partir de 2008, ce minimum a été porté à un million de dollars.

Face-à-face

Laisser le moins possible de traces. Aucune communication par e-mail ne devait avoir lieu entre le banquier et son client américain. Il devait privilégier les rapports de visu. À défaut, les instructions pour la gestion du compte devaient être envoyées par coursier et remises en main propre. Après le scandale UBS en 2008, les règles sont devenues plus strictes. Le client n’avait tout simplement plus le droit de contacter son banquier depuis les États-Unis. Les fax ne pouvaient être envoyés depuis les États-Unis.

Le discret bureau SIOA5

Le bureau SIOA5, situé dans l’aéroport même de Zurich, était le nec plus ultra pour les clients américains. Ces derniers pouvaient y faire un rapide détour avant de se rendre sur les pistes de ski. Afin d’atteindre les locaux de ce bureau confidentiel, qui gérait 9 400 comptes, il fallait emprunter un ascenseur très particulier : sans aucun bouton, il était commandé à distance. Seuls les banquiers du Credit suisse et leurs clients pouvaient ainsi se rendre au bureau SIOA5.